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L’authenticité crève l’écran dans CODA – Le cœur à la musique

Les acteurs Marlee Matlin, Troy Kotsur et Daniel Durant, en compagnie de la scénariste et réalisatrice Siân Heder, reviennent sur le tournage du film Apple Originals CODA – Le cœur à la musique. Dans cet entretien, ils discutent du recours au langage des signes américain sur le plateau, de l’importance du choix de la distribution pour représenter les personnes handicapées de manière authentique et des récits universels qui parlent à tous.
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En vedette 12 août 2021
Emilia Jones, Troy Kotsur, Marlee Matlin et Daniel Durant dans CODA – Le cœur à la musique, diffusé en première mondiale le 13 août dans certaines salles de cinéma et sur Apple TV+.

Au festival de Sundance 2021, la famille Rossi autour de laquelle gravite le film CODA – Le cœur à la musique a su régaler le public de répliques intelligentes, d’émotions vives et d’amour familial dysfonctionnel à souhait. Campé à Gloucester, au Massachusetts, le film nous fait découvrir l’univers d’une famille de pêcheurs italiens de la classe ouvrière dont trois des quatre membres sont sourds. Ruby Rossi, interprétée par Emilia Jones, est la CODA titulaire, c’est-à-dire l’enfant entendant de parents sourds, coincée entre ses obligations familiales et sa passion pour le chant, rêve susceptible d’ériger un mur entre elle et sa famille malentendante. Sa vie se résume à servir d’interprète à ses parents Jacki et Frank Rossi (Marlee Matlin et Troy Kotsur) et à travailler chaque matin, avant de se rendre en classe, sur le bateau de pêche familial avec son père et son frère aîné Leo (Daniel Durant).

Apple TV+ s’est entretenu avec la scénariste et réalisatrice Siân Heder, ainsi que les acteurs principaux Marlee Matlin, Troy Kotsur et Daniel Durant, à propos de leur expérience de tournage et de la collaboration entre les membres entendants et malentendants de la distribution et de l’équipe pour donner vie au film. Il a aussi été question des obstacles que ce long métrage aidera à lever pour les productions futures qui cherchent à représenter avec authenticité la communauté sourde et toutes les autres communautés de personnes handicapées.

CODA – Le cœur à la musique sera diffusé en première mondiale le vendredi 13 août dans certaines salles de cinéma et sur Apple TV+.

Siân Heder dirige Eugenio Derbez dans CODA – Le cœur à la musique
La scénariste et réalisatrice Siân Heder dirige Eugenio Derbez dans CODA – Le cœur à la musique.

CODA – Le cœur à la musique met en vedette quatre acteurs principaux : Marlee Matlin, Troy Kotsur, Daniel Durant et Emilia Jones dans le rôle de la CODA, ou l’enfant entendant de parents sourds. Dans quelle mesure était-ce important pour vous que CODA – Le cœur à la musique représente avec authenticité la communauté sourde?

Siân Heder (SH) : Pour représenter un personnage d’une communauté dont on ne fait pas partie, il faut une grande individualisation. Quand on verse dans les généralisations, cela devient vraiment problématique. Je n’avais donc pas l’impression que mon travail – en tant que scénariste – consistait à parler au nom de tous les sourds ou à décrire leur expérience, voire à parler au nom de tous les CODA ou à décrire leur expérience. À mes yeux, CODA – Le cœur à la musique raconte l’histoire très particulière d’une famille de pêcheurs de la classe ouvrière qui est très isolée. Cet isolement est attribuable à la surdité, mais surtout au mode de vie extrêmement solitaire en bateau. Et le caractère particulier de ces personnages, leur passé, de même que leurs espoirs, rêves et désirs, sont des éléments essentiels à la représentation de protagonistes issus d’une communauté qui n’est pas souvent représentée.

Quelqu’un comme moi, qui suis une personne extérieure ne faisant pas partie de cette communauté, doit faire preuve d’une incroyable délicatesse pour raconter cette histoire. Et je me suis attaquée à la tâche avec beaucoup de délicatesse. J’avais aussi le sentiment qu’il me fallait des personnes sourdes sur le plateau, que c’était ma responsabilité. Mes maîtres en langage des signes américain ont donc été pour moi d’inestimables alliés dans mon processus créatif. Sur le plateau, ils m’ont aidée à réorienter mon propre regard sur une culture dont j’essayais de représenter certains aspects sans vraiment les connaître. Il est donc important pour une personne extérieure qui aborde des communautés comme celle-ci de connaître les limites de son savoir. En tant que scénariste, conteuse et réalisatrice, je voulais servir de fil conducteur et raconter cette histoire de manière authentique en misant sur l’ouverture, la collaboration et la responsabilisation des bonnes personnes autour de moi.

Daniel Durant (DD) : À mes yeux, CODA – Le cœur à la musique était davantage un film familial intéressant qu’un film à propos des sourds, et c’est ce qui m’a attiré. Je me reconnaissais aussi énormément dans le personnage de Leo qui, tout comme moi, est un malentendant fort et travaillant, prêt à tout pour soutenir sa famille et faire prospérer son entreprise. Je voulais prouver que tous les rôles étaient à la portée des personnes sourdes et je crois que tous ceux qui verront CODA – Le cœur à la musique se sentiront concernés par les enjeux que nous abordons. J’espère aussi que le film ouvrira des portes à d’autres acteurs issus de la diversité dans l’avenir.

Marlee Matlin (MM) : Le scénario et l’histoire de Siân m’ont fortement interpellée. C’est une histoire sur le passage à l’âge adulte comme il s’en fait beaucoup d’autres, mais racontée avec fraîcheur sous un angle révélateur. Et lorsque j’ai constaté que Siân avait fait ses devoirs et travaillé avec des réalisateurs qui connaissent bien le langage des signes pour créer la trame narrative, lorsque j’ai vu qu’elle avait pleinement adopté cette communauté jusqu’à en apprendre le langage et, finalement, lorsque j’ai été témoin de sa volonté à dénicher des acteurs capables de jouer avec authenticité, j’ai décidé d’en faire partie.

Les acteurs Daniel Durant, Troy Kotsur et Emilia Jones dans CODA – Le cœur à la musique
Les acteurs Daniel Durant, Troy Kotsur et Emilia Jones, qui joue Ruby Rossi, la CODA titulaire (enfant entendant de parents sourds) dans le film.

Siân, vous avez appris le langage des signes, car vous vouliez qu’il occupe une place importante dans le film et souhaitiez en comprendre les nuances. Comment cela vous a-t-il aidée à diriger Marlee, Troy et Daniel durant le tournage?

SH : Nous avions des interprètes dont la présence était indispensable pour assurer l’accessibilité sur le plateau et communiquer avec les membres de la distribution et de l’équipe, mais en s’immisçant dans la relation réalisateur-acteur, ces personnes compliquaient un peu mon travail, notamment quand il s’agissait de diriger les acteurs sur leur façon de jouer. En tant que réalisatrice, je communique beaucoup avec mon visage. viasaMon expression faciale ou l’émotion perceptible dans mes yeux exprime souvent mieux ce que je veux dire que le choix de mots parfaits. Après la première journée de travail, lorsque je conseillais les acteurs sur leur jeu par l’entremise de l’interprète, j’ai réalisé que mes acteurs le regardaient lui et pas moi. J’ai donc parlé à Troy, Marlee et Daniel et leur ai demandé si je pouvais m’adresser directement à eux en utilisant le langage des signes de façon à forger une relation sans intermédiaire avec eux. Ils étaient fous de joie et complètement d’accord avec ma proposition, alors c’est ce qu’on a fait. Nous avons trouvé une manière d’être ensemble et de tisser des liens très étroits, tantôt en utilisant le langage des signes, tantôt en utilisant nos corps ou nos gestes pour communiquer. J’ai même mimé quelques scènes pour leur montrer ce que je voulais, ce qu’on nous dit de ne jamais faire en tant que réalisateur. Cette formule a fonctionné à merveille pour nous.

Je me souviens aussi d’une fois durant le premier jour où un de mes caméramans m’a demandé comment il pouvait indiquer à Troy de se déplacer. Je lui ai répondu qu’il avait un corps et des mains, qu’il pouvait faire des gestes, qu’il pouvait lui toucher l’épaule et lui montrer la bonne direction. En somme, il fallait juste veiller à ce que tous les membres de l’équipe dépassent leur état de gêne initiale et réalisent que les êtres humains ont de nombreux outils à leur disposition pour communiquer.

Avez-vous tiré des leçons importantes de cette expérience?

SH : J’ai découvert une nouvelle façon de travailler en tant que réalisatrice, ce que je trouve génial. On reprend parfois les mêmes formules pour communiquer ses idées ou les mêmes mots pour s’exprimer, mais le fait d’être en dehors de ma zone de confort et de travailler différemment m’a obligée à être beaucoup plus directe et claire dans ce que je voulais et ma façon de communiquer. C’est quelque chose que j’entends appliquer dans mon travail à l’avenir : en dire moins. Travailler sur un plateau entièrement centré sur la communication et son établissement a contribué à la création de liens étroits entre la distribution et l’équipe. Nous avons tous été soufflés par ce constat. Nous tournions un film à propos d’une famille et nous sommes devenus une famille. Je n’ai jamais vécu une expérience semblable sur aucun plateau auparavant.

Siân Heder dirige Emilia Jones et Ferdia Walsh-Peelo dans CODA – Le cœur à la musique
Siân Heder dirige Emilia Jones et Ferdia Walsh-Peelo dans une scène de CODA – Le cœur à la musique

Parlez-moi un peu de la scène où Frank, le personnage du père, est assis à l’arrière de son camion avec Ruby, qui vient tout juste de chanter son solo dans la chorale de l’école. La scène était-elle improvisée dans une certaine mesure?

SH : J’ai soudainement eu une révélation incroyable durant cette scène. Bien que j’aie eu tous ces collaborateurs malentendants, j’aurai toujours le regard d’une personne entendante sur le monde et, lorsque j’ai écrit cette scène, j’ai toujours imaginé qu’il y avait une sorte de transfert de la musique qui s’opérait entre Ruby et son père, et que lorsque Ruby chantait pour lui, il comprenait enfin ce qu’est la musique, comme par magie. Et quand j’y repense, ma perception de l’expérience d’une personne sourde et de la relation à la musique me semble bien naïve.

Lorsque nous tournions cette scène, ce n’est qu’au moment où les deux étaient assis dans la boîte de la camionnette et qu’Emilia s’est mise à chanter pour Troy que je lui ai demandé s’il ressentait quelque chose en touchant le cou ou la poitrine d’Emilia? » Il m’a répondu que non. Et je lui ai demandé s’il ne sentait vraiment rien. Et il m’a répondu que non, il ne sentait vraiment rien. J’ai donc demandé à Emilia de chanter plus fort. Elle a chanté un peu plus fort et il a affirmé percevoir un petit quelque chose. J’ai donc dit à Troy de bouger ses mains sur le cou d’Emilia, à qui j’ai demandé de s’asseoir plus près et de chanter plus fort. Et j’ai soudainement réalisé que cette scène ne traite pas d’un père qui comprend tout à coup ce qu’est la musique. Elle traite plutôt d’intimité et du lien entre père et fille qui transcende la musique; elle parle d’un moment de rapprochement pendant lequel les deux travaillent en équipe et le père essaie de comprendre pourquoi sa fille aime le chant. Je les ai donc dirigés en leur demandant de travailler en équipe pour que Troy puisse ressentir quelque chose en tant qu’acteur. J’ai éclaté en sanglots en regardant cette scène, car j’étais témoin de quelque chose qui se produisait vraiment. Ce n’était pas un texte que j’avais mis en scène ou écrit. Le moment a pris vie d’une manière tellement authentique et vraie, définie par la façon dont les acteurs devaient travailler ensemble.

Troy Kotsur (TK) : J’étais extrêmement reconnaissant d’avoir une réalisatrice extraordinaire comme Siân qui a l’esprit ouvert. À la lecture du scénario, j’ai remarqué que le mot que Frank emploie après que Ruby a chanté est « merci ». Et je n’étais pas convaincu, car on utilise le signe pour dire merci dans les situations les plus impersonnelles, comme lorsqu’on passe une commande chez Starbucks, par exemple. J’avais donc l’impression qu’il s’adressait à une étrangère. Mais ici, il s’agit de sa fille et je voulais quelque chose de différent pour bien rendre l’émotion du moment. J’en ai parlé à Siân et lui ai demandé si elle acceptait que je montre mon appréciation sur mon visage au lieu de dire merci. Et je pense que mon visage en disait long. Et lorsque nos regards se sont croisés après qu’elle a chanté et qu’elle m’a demandé si je comprenais avec son visage, je lui ai répondu par un petit sourire en opinant du bonnet et je lui ai donné un baiser sur le front. Pour moi, c’est l’équivalent de dire merci; c’est même mieux. J’aurais pu en dire plus, mais je voulais que cela reste simple. À mon avis, le moins on en disait, le mieux c’était dans cette scène, et je suis heureux que nous ayons pu saisir cette émotion. J’étais aussi très heureux que Siân soit si ouverte à me laisser essayer différentes possibilités, ce qui, je l’espère, cadrait avec sa vision ou l’améliorait. Et wow, quelle scène. La jouer m’a fait vivre une expérience des plus intéressantes.

Emilia Jones et Troy Kotsur dans CODA – Le cœur à la musique
Ruby (jouée par Emilia Jones) et son père, Frank (joué par Troy Kotsur), dans une scène de CODA – Le cœur à la musique.

D’après vous, quels sont les mythes à propos des personnes handicapées qui empêchent Hollywood de leur confier plus de rôles ou de les embaucher dans ses productions?

SH : Le gros du travail consiste à briser ces barrières et à faire réaliser aux gens que nous sommes tous des êtres humains capables d’établir des liens en dehors du langage parlé. Si les gens avaient moins peur, nous pourrions le faire plus souvent. Et la leçon que la distribution et l’équipe ont retirée de l’expérience est qu’il faut franchir les barrières que nous érigeons et constater que nous sommes tous semblables. Il suffit de se montrer créatifs dans notre façon de régler les problèmes et de communiquer. La réalisation d’un film consiste dans une certaine mesure à régler des problèmes, par exemple, comment renverser une auto, montrer un immeuble en flammes ou tourner sur un bateau. Rendre le plateau accessible s’apparente à cet exercice avec quelques complications supplémentaires. Cela exige la présence de personnes additionnelles qui savent ce qu’elles font.

DD : Les personnes sourdes sont comme tout le monde. Il y a bien sûr quelques différences découlant de notre surdité, mais au fond, nous sommes comme la majorité des gens. J’ai aussi bon espoir que la sensibilisation et la perception des sourds en tant que personnes normales se traduiront par une accessibilité accrue pour les malentendants, notamment pour les enfants sourds qui profiteraient grandement d’un nombre accru d’occasions, notamment à l’école.

MM : Nous sommes capables de livrer la marchandise. Nous nous en tirons aussi bien que la communauté entendante lorsqu’il est question de bien raconter de bonnes histoires. Nous sommes en mesure de jouer tous les personnages qui nous rejoignent. Nous pouvons aussi écrire, réaliser – en somme, faire tout ce qu’il faut dans un film. Il suffit de penser à CODA – Le cœur à la musique. Les nombreux prix et distinctions reçus à Sundance en sont la preuve!

Daniel Durant dans CODA – Le cœur à la musique
Daniel Durant joue Leo, le personnage du frère aîné dans CODA – Le cœur à la musique.

De façon générale, Hollywood progresse-t-elle dans sa façon de représenter les personnes handicapées?

DD : Absolument! C’est génial de voir des acteurs authentiques dans certains rôles (comme des sourds jouant le rôle de sourds), pas seulement parce qu’ils sont capables de le faire, mais aussi parce qu’il est impossible pour quelqu’un qui n’a pas vécu cette expérience d’atteindre le même niveau de véracité.

TK : Le moment est venu de faire éclater ce paradigme à Hollywood et de réveiller les gens. Dans les années 1980, il y a eu un film intitulé « My Calendar Girl », et ils étaient à la recherche d’une personne sourde pour jouer le rôle d’un tueur à gages. Les gens ont protesté parce qu’en fin de compte, ils ont confié ce rôle à une personne entendante, et j’étais confus. J’étais très jeune et naïf. Je me disais que ce serait génial de pouvoir jouer n’importe quel rôle et d’interpréter n’importe quel personnage. Au fil des ans, je me suis rendu compte qu’il faut qu’il y ait une différence entre le jeu d’un acteur et la définition de ce qu’est un acteur ou une représentation authentique. Tout compte fait, cela dépend de l’histoire. Cela dépend du scénario et du niveau d’authenticité qu’on peut donner.

La performance oscarisée de Marlee dans « Children of a Lesser God » a ouvert cette porte. Mais depuis, on constate un déclin, chaque année. Et maintenant que plus d’occasions se présentent aux personnes handicapées et sourdes, il reste à savoir si Hollywood est prête. Je ne sais pas, je pense qu’il faut laisser le temps faire son œuvre.

MM : En partie, mais le niveau de représentation est inférieur à celui des autres minorités sous-représentées. Hollywood comprend l’importance d’être authentique et d’embaucher des acteurs sourds pour jouer des rôles de sourds, et cette remarque ne concerne pas que les sourds, elle s’applique à tous les acteurs handicapés. Je ne veux pas froisser les merveilleux acteurs qui ont incarné des personnes handicapées dans le passé, mais c’était une autre époque et, maintenant, je crois qu’Hollywood saisit que la surdité ou un handicap n’est pas un costume qu’une personne valide ou non sourde peut enfiler, puis enlever. La chose qui n’a pas changé à mon avis est que la discussion sur l’importance de la diversité ne tient toujours pas compte du manque de représentation des personnes sourdes ou handicapées. Il faut aussi accepter le fait que lorsqu’on décide d’inclure un acteur sourd, si jamais cela se produit, c’est souvent dans un rôle de soutien ou un rôle de moindre importance, comme si les personnes sourdes ou handicapées sortaient du vide ou menaient des vies solitaires. C’est pourquoi CODA – Le cœur à la musique a été si libérateur pour moi. Trois acteurs sourds dans des rôles principaux qui communiquent entièrement en langage des signes. Quelle percée incroyable – et j’espère qu’elle se poursuivra!

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